La liberté d’expression : Les Seychellois y tiennent aussiJamais le sujet n’aura été en tête de tous les agendas et sur toutes les lèvres quelque soit la langue ou le langage qui en sort. Jamais la liberté d’expression n’aura été universellement aussi débattue comme elle l’est en ce moment.
Ironiquement, cet enivrement général pour l’un des plus importants droits de l’individu ne se serait manifesté sans les attentats ayant eu lieu en France le 7, 8 et 9 janvier dernier. Surtout celui contre le journal satirique Charlie Hebdo, visant non seulement à faire taire les caricaturistes pour lesquels l’entêtement à le défendre était devenu une valeur en elle même, mais surtout à rayer l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Paradoxalement, Charlie Hebdo même apprécié de beaucoup, mais journal peu important en termes de tirage avec ses soixante mille exemplaires, peu connu en tant que lectorat et en presque état de faillite, est ressuscité de ces cendres. Pour ne pas dire cyniquement, du corps de ses journalistes. Comme l’a bien fait remarquer un défenseur local de la liberté d’expression :
« Je suis triste pour Charlie. Mais je remercie Charlie car à cause de lui, la liberté d’expression est devenue depuis quelques semaines un sujet mondial ».
Il n’y a peut-être plus grande preuve que le bien triomphe toujours ou doit-on plutôt dire, la liberté, surtout celle d’expression, est plus forte que toute forme d’extrémisme. Les gros crayons qui ont redessiné Paris – et peut-être toute la planète terre – et qui ont remplacé les fusils nous rappellent la phrase de Shakespeare qui deux siècles avant la Révolution Française a traversé La Manche pour s’écrire bien au delà comme un message universel : « La plume est plus forte que l’épée ».
Elle est aussi arrivée aux Seychelles où on a vivement réagi aux lâches attentats. Des réactions chaudes et nombreuses des réseaux sociaux à un message de solidarité du Président James Michel à son homologue français François Hollande passant par des éditoriaux des Charlies locaux. De nombreux Seychellois, officiels ou simples citoyens, ont participé à la plus grande manifestation de l’histoire à la faveur de la liberté, le 11 janvier à Paris.
Sur place, l’Alliance Française a voulu poursuivre le débat sur la liberté d’expression. Le but, créer un espace de dialogue libre et public dans la forme d’une table ronde ouverte. La première de celle-ci a eu lieu jeudi dernier à la bibliothèque de l'Alliance. De nombreuses personnalités du gouvernement, de la société civile, du corps diplomatique et du public en général se sont manifestés pour librement s’exprimer sur le sujet, qui semble désormais être cher aux Seychellois contrairement (peut-être) aux apparences : universitaires, artistes, journalistes, religieux, institutionnels, politiques, juristes, enseignants, diplomates et d’autres simplement défenseurs de la liberté de la presse avaient répondu présents. Pas la peine de citer des noms. Car, connu ou anonyme, nous devons être tous concernés par la tentative barbare de nous empêcher d’exprimer ouvertement ce que l’on pense.
Rappelant ainsi, des valeurs de liberté nées avec la Révolution Française de 1789 et résumées par un de ses principaux auteurs, Voltaire en personne :
« Je peux ne pas être d’accord avec ce que vous dites, mais je défendrai à mort le droit de le dire ».
Deux cent vingt-six ans plus tard, c’est dans cette forme que ce beau discours a été repris :
« Je ne suis pas Charlie mais je respecte le droit de Charlie à exister et à dire ce qu’il veut ».
Comme ci, comme il a été aussi rappelé pendant le débat, la liberté d’expression est une liberté absolue et à y toucher, c’est toucher à la valeur la plus chère aux Français. N’est-elle pas devenue une valeur mondiale chère à nous tous quand des gens du monde entier ont défilé aux côtés de 10 millions de Français à Paris ?
Il a été prudent et important quand même de bien se rappeler, selon les critiques, que les limites à la liberté d’expression existent en Afrique, en Amérique latine, en Russie, en Chine, en Turquie, dans les pays en voie de développement et ailleurs. Cette bataille de crayon et de fusil nous rappelle tristement que le monde est actuellement dans un contexte de guerre à l’image de la lutte menée aussi contre les extrémistes en Syrie, en Iraq, en Afghanistan, au Kenya, en Somalie, au Nigeria, au Yémen et même aux Etats Unis, en France et en Belgique. Comme l’a fait remarquer un intervenant, c’est une tentative d’entrave à la modernité. Car, limiter la liberté c’est également limiter le développement qui crée cette modernité.
Dans ces contradictions de croyances politico-religieuses qui sont allées jusqu'à provoquer non seulement une guerre des religions mais une des civilisations, des défenseurs ardents de liberté vont jusqu'à dire qu’« une attaque contre la liberté d’expression met en cause le droit à la vie elle-même. »
Face à cette menace de mort, est-ce qu’il faut alors s’auto censurer ? Certains, plus prudents, disent que c’est parfois une question de tactique. Reculer donc pour mieux sauter ou autrement dit attendre le bon moment pour s’exprimer. Comme l’a dit le Prophète Mahomet quand des Anges lui ont proposé d’écraser ses ennemies : « Non. Je préfère attendre ».
D’autres plus résolus insistent que comme c’est la liberté de pensée qui guide la liberté d’expression, la première n’existe plus quand on a peur et que l’esprit ne peut donc déclencher la seconde. En définitive, il ne faut surtout pas avoir peur de dire ce qu’on pense.
Ce sont les plus éminents disciples de la liberté d’expression qui comme l’écrivain Salman Rushdie pensent que celle-ci n’existe plus sans la liberté d’offenser. Ou comme les dessinateurs et chroniqueurs Cabu, Charb, Wolinski. Tignous, Honore, Michel Renaud, Elsa Cayat et Mustapha Ourad (eh oui, un musulman) qui hélas nous donnaient le droit de rire de tout mais qui en sont devenus martyrs.
La grande question posée alors est comment réconcilier la liberté d’expression et le sentiment personnel ? Ou, est-ce que la limite doit être imposée et qui doit l’imposer ? La réponse en cas d’offense est simplement donnée par les lois au sein d’une constitution. Comme la limite imposée par une personne est subjective, elle doit donc être imposée par la loi comme c’est le cas aux Seychelles et en France. Dans ce cas, la limite c’est la diffamation.
De l’autre côté, des têtus pourront continuer à dire que « qui sème le vent récolte la tempête », ou que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », ou encore « qu’en y usant on peut heurter à leur sensibilité ».
Encore, la loi nous offre le recours et on n’a pas le droit de la prendre entre ses mains. Il a été rappelé que Zinedine Zidane a pu être un soir de la finale de la Coupe du Monde 2006 le meilleur footballeur de France et du monde. Cependant, personne ne l’a jamais pardonné pour son coup de boule dans le ventre de son adversaire italien Marco Materazzi, même si ce dernier avait insulté sa mère et sa sœur.
« Le retour du bâton doit être la justice et non le kalachnikov. Dans un monde moderne et civilisé on n’assassine pas les journalistes. On les affronte avec des mots et non avec des kalachnikovs, a insisté un Charlie seychellois ».
Mais pardessus tout, la plus grande leçon à retenir est sans doute qu’avant la loi et la justice administrées par la police et les tribunaux, il existe une loi naturelle : Celle du respect pour l’autrui. Et encore, quand elle semble ne pas être respectée, il y a encore celle de la tolérance. Ne s’agit-il peut-être de « tendre l’autre joue », mais ne pas réagir « œil pour œil dent pour dent » non plus.
Comme nous portons tous les mêmes valeurs naturelles, il faut donc – quelque soit nos différentes religions – que nous soyons capables de séparer la morale au droit. Ceci doit être le cas dans une république laïque et un état de droit. Ainsi, pour ceux dont la liberté d’expression est une limite, le respect pour l’autrui deviendrait en même temps le problème et la solution.
Et la religion puisqu’on y est, nous sommes aussi d’accord que si nous l’enlevons de notre vie nous y enlevons autant l’éducation. Car cette matière est censée enseigner les bonnes choses que nous voulons qu’un enfant fasse comme adulte. Si nous ne pouvons retenir toutes ses leçons, nous espérons quand même qu’elle nous enseigne au moins deux choses : Que l’extrémisme représente peu de personnes qu’il faut traiter comme une minorité, et que si l’Islam est montré du doigt c’est qu’elle est aussi une religion forte.
C’est par le biais de cette éducation qu’il faut sensibiliser les jeunes sur le choix de chacun et le respect de ce choix, adoucir les mœurs de tous et penser les plais en cas de nécessité.
Et la politique alors ? Comme outil pour briser ce qui semble être devenu un statu quo, ne faut-il pas que les pouvoirs publics acceptent la critique ? Surtout, pour éviter la violence, il faut briser toutes les inégalités à commencer par l’apartheid social.
Il faut aussi penser que dans le monde on tue non seulement Voltaire. Certes, cent trente journalistes ont été tués en 2014 dans l’exercice de leur fonction. Défendre la liberté d’expression c’est aussi protéger la vie des journalistes, à l’image d’Ahmed, le policier musulman qui en a payé le prix fort devant les bureaux de Charlie Hebdo. Il faut donc aussi dire « Je suis Ahmed ».
Et comme « le crime c’est le mal de l’âme », cherchons donc aussi à nous émouvoir quand il y a d’autres crimes, non seulement en France mais en Afrique, au Moyen Orient et ailleurs.
M. S.
http://www.nation.sc/article.html?id=244346